Mystère : le courant d'air [Tentative n°1]

Le salon est immense, mais vous avez une drôle de sensation quand vous passez à côté de ce mur précis. Il s’agit d’un simple mur de bois lambrissé comme il y en a partout ailleurs au rez-de-chaussé du Manoir, à la différence qu’il est rehaussé de touches bleues du plus bel effet.

Quelques peintures sont accrochées là, des paysages marins pour coller au thème chromatique, mais aussi des fleurs. Comme le reste de la pièce, le plancher est impeccable, décrivant de jolis motifs floraux colorés. Vous apercevez d’ailleurs quelques touches d’une autre couleur que du bleu, mais ce qui vous choque surtout c’est ce courant d’air. Ici, quand on ouvre les fenêtres, il n’y a pas vraiment de vent, et l’air, bien qu’on le sente circuler, ne le fait jamais avec autant de force.

Vous êtes sûr qu’il y a une ouverture quelque part, mais où ? Et comment l’activer ?

Un nouveau départ. Un nouveau monde. Virtuel, irréel. Mais c’était sans doute mieux que rester au-dehors, dans le monde réel, là où il n’y avait presque plus personne, où il n’y avait presque plus rien. Elle n’avait rien demandé, mais maintenant, elle y était. Elle partait pour l’inconnu, dans un univers illimité, infini, indéfini et surtout incertain. Prête ou non, elle n’avait de toute façon plus le choix et y avait son rôle à jouer. S’en était terminé d’être impuissante spectatrice. On lui avait donné le but de son exploration, mais sans trop de détails. Qu’elle fût là pour mener à bien sa mission, ou pour saboter le plan, elle ne pouvait décemment pas errer tel un parasite inutile dans le programme tout en restant les bras croisés. À elle de faire son choix, mais dans tous les cas, il était hors de question qu’elle restât là à ne rien faire. La découverte et les énigmes seraient apparemment le maître-mot de cette exploration. Elle l’espérait du moins, car cela avait attisé la grande curiosité dont elle faisait très souvent preuve. Les secrets, les mystères, les énigmes, c'est ce qu'elle aimait, c'est ce pour quoi elle acceptait d'être là. Le problème qui pourrait néanmoins se poser, est que sa curiosité ne devînt que paranoïa et obsession. Enfin, se connaissant, obsessionnelle, elle savait qu’elle le serait forcément. Chez elle, curiosité et obsession allaient presque toujours de pair.

Les heures s’étaient écoulées sans qu’elle ne daignât sortir de sa chambre, la numéro 095 - quoi que cette pièce n’avait justement rien du confort et de l’intimité d’une chambre, à son image. Était-ce une peur siégeant au plus profond de la représentation pixelisée de son corps qui l’avait maintenue sur son lit, se laissant seulement aller à de longues réflexions, qui l’avait empêchée d’entreprendre quoi que ce soit dans un premier temps ? Peut-être était-ce la peur de l’inconnu qui l’entourait, l’englobait - difficile à dire dans la mesure où, ici, la notion d’espace demeurée assez complexe - et qui l’attendait. Mais cette peur retenait l’élan. Et la répression de l’élan condamnait alors la connaissance. Pour l’instant, elle n’avait pas visité les lieux, n’avait alors encore croisé aucun autre personnage. Était-elle vraiment prête à communiquer avec d’autres résidents d’Odysseus ? Il était trop tard pour se poser la question, puisque, sortie de son nouveau petit refuge et logis, elle se perdait déjà dans les couloirs qui semblaient parfois ne jamais en finir, mais elle finit par atteindre l’escalier qui menait au rez-de-chaussée. Parvenue en bas, elle observa d’abord un court instant le hall d’entrée puis choisit de prendre le couloir de droite qui semblait mener vers plusieurs autres pièces. Elle longea le corridor à l’affût des moindres détails, et, entendant des voix masculines, elle tourna la tête en leur direction, se trouvant elle-même dans l’encadrement de cette première porte. Par reflex, elle recula précipitamment de quelques pas, ayant tout juste eu le temps d’apercevoir furtivement deux hommes. À présent cachée derrière le mur qui la séparait des deux inconnus, elle aurait senti son cœur battre, affolé, dans sa poitrine, si elle avait été dans la capacité de ressentir les sensations de son corps. Son corps, ce qui ne l’était justement pas. En telle situation, son côté asocial avait resurgi malgré elle à l’approche de deux individus qu’elle ne connaissait pas. C’est d’ailleurs ce qui l’angoissait le plus, ne connaître personne dans ce manoir et être dans le devoir d’entamer quelques contacts dits relationnels. Mais comme dit, elle devait justement, absolument, y mettre du sien pour se rapprocher un minimum des autres, ou du moins avoir quelques conversations. Certes, elle pourrait essayer de faire tout de son côté, se débrouiller toute seule, mais dans un tel contexte, il valait parfois mieux réfléchir en groupe. Soit, pour elle, ce n'était simplement que le premier pas qui était le plus difficile à faire. Dans tous les cas, elle commença à prêter oreille attentive à la conversation, préférant écouter discrètement avant de se manifester.

« À moins qu'on soit déjà mort. Moi, on ne m'a pas assuré que je sortirai à la fin du jeu. » Elle n’avait pas compris les premières phrases, mais, pour le coup, elle était plutôt d’accord avec les propos rapportés par l’un des deux hommes. Il était clair que, normalement, ils étaient là pour la bonne cause et que, même si par une chance inespérée, ils parvenaient à faire avancer les choses, aucun d’eux ne savaient dans quel état ils se retrouveraient à la fin. Elle fronça les sourcils néanmoins, ne comprenant pas vraiment le sens de leur conversation. La curiosité la piqua. Elle se décala pour faire lentement dépasser ne serait-ce que l’un de ses yeux pour observer la scène. À quelques mètres d’elle se trouvait un jeune homme qui, à première vue, semblait avoir à peu près le même âge qu’elle, ou du moins l’avatar qui le représentait ici. L’autre, était un homme beaucoup plus âgé qu’elle, mais elle lui trouva des gestes, une apparence et une présence intrigante. Il semblait être en train de s’amuser avec les quelques tableaux accrochés à l’un des murs de la pièce. De plus, ce qu’il ajouta excita de nouveau sa curiosité. « Tu devrais avancer de deux pas, petit, il y a un détail intéressant dans cette pièce. » Après les avoir écoutés durant quelques secondes ou minutes, et voulant elle-même savoir ce qu’il cherchait, savoir quel était ce "détail intéressant", elle décréta qu’il était maintenant temps pour elle de sortir de sa cachette et de se manifester. Elle pénétra la pièce aussi discrète qu’une petite souris et observa un instant la décoration puis les deux hommes, en particulier le plus âgé des deux. Elle s’approcha de nouveau en faisant cette fois-ci volontairement un peu plus de bruit et, une fois que les deux inconnus l’eut vue, elle hocha la tête en les saluant brièvement.

« Excusez-moi, mais... Qu’est-ce qui se passe ? » demanda-t-elle le plus simplement du monde.